Jean-Luc Guermonprez : Le groupe Vinci se porte bien, mais nos confrères connaissent davantage de difficultés. Vinci Immobilier, quant à lui, rencontre les mêmes défis que ses concurrents sur le marché.
Nous constatons une forte baisse des réservations, un ajustement des prix, une hausse des coûts de financement, ainsi qu'une disparition temporaire de l'activité tertiaire bureau. Actuellement, l’hôtellerie est le seul secteur immobilier où nous percevons une demande soutenue de la part de nos partenaires.
Si nous devions résumer les 12 à 18 derniers mois chez Vinci Immobilier, en particulier dans le pôle Hôtellerie, nous pouvons affirmer que notre activité reste très soutenue. Cette dynamique s’explique par le fait que nous sommes actuellement en train de réaliser des opérations vendues en 2022 et 2023, que ce soit en région parisienne ou en province, avec différentes enseignes couvrant l’ensemble des gammes. Nos principaux investisseurs sont, pour la plupart, des franchisés multimarques.
Toutefois, l’année 2024 s’annonce plus calme en termes de développement, car nos clients, comme beaucoup d'autres acteurs du marché, subissent l'impact de la hausse des coûts du crédit. Les opérations que nous montions en trois ou quatre mois il y a deux ans prennent désormais six à huit mois pour atteindre un équilibre économique. Cela étant, la demande pour de nouveaux produits immobiliers reste forte, mais la complexité des montages financiers et la recherche de financements constituent un défi pour nos clients.
Ce qui aurait pu soutenir le marché, c’est une plus grande implication des collectivités locales afin de faciliter le renouvellement du parc hôtelier. Malheureusement, nous constatons plutôt une complexification de la réglementation et une augmentation des consultations ou des appels d’offres en cours.
Nous concentrons nos efforts sur le développement durable, en particulier sur le futur décret tertiaire. Nous travaillons à sensibiliser nos clients à ce sujet, en vue de la réhabilitation ou de la reconstruction d’hôtels obsolètes, afin qu’ils répondent, à moyen terme, aux critères du développement durable et aux exigences de lutte contre le changement climatique.
En résumé, chez Vinci Immobilier, nous restons optimistes quant à l'activité hôtelière, tout en demeurant attentifs et réalistes concernant les coûts d’opération. Contrairement à d'autres secteurs comme celui des bureaux, l’hôtellerie ne bénéficie pas de la même élasticité des prix. Ce n’est pas parce que les hôteliers ont de très bons résultats sur une période donnée que les prix de nos projets augmenteront dans les deux ans à venir.
Nous continuons à observer une demande importante de la part des enseignes, y compris de nouvelles marques souhaitant s’implanter en France. La destination France reste attractive, et l’image positive renvoyée durant les Jeux Olympiques et Paralympiques devrait encore renforcer cette attractivité. Nous ne manquons pas de tirer profit de cette période d’effervescence.
Bertrand Pullès : Nous sommes un fonds d'investissement spécialisé dans le secteur de l’hôtellerie. Comme nous le savons, l'économie est aussi une question de psychologie, et nous avons pu observer qu’en 2022 et 2023, les investisseurs étaient relativement attentistes. En 2022, les investisseurs institutionnels avaient misé massivement sur le secteur des bureaux, considérés comme une réponse anticrise. Le réveil a été difficile.
Un autre phénomène marquant a été la décollecte des SCPI, particulièrement actives dans l’immobilier et l’hôtellerie. Cette situation a entraîné un climat de défiance parmi les investisseurs. De plus, la hausse des taux d’intérêt a accru les attentes de TRI (Taux de Rendement Interne) de la part des investisseurs, sans que les projets ne répondent nécessairement à ces exigences.
Les coûts de construction ont augmenté, tout comme les taux, tandis que les attentes des investisseurs en termes de rémunération de leurs fonds propres ont également progressé. À une époque où les investisseurs pouvaient obtenir des rendements de 5 à 8 % sans risque et avec une liquidité limitée, les projets immobiliers devaient proposer des rendements plus élevés pour être compétitifs.
Il est clair que les investisseurs ne ressentaient plus la même pression pour investir qu’auparavant, où leurs capitaux n’étaient pas rémunérés. Ils devaient donc chercher des solutions pour revenir sur le secteur de l’hôtellerie. Par rapport à 2019, 2020 et 2021, nous avons observé un changement de stratégie important, avec un intérêt accru pour ce que l’on appelle l’Operational Real Estate, c'est-à-dire des investissements à la fois sur le foncier et le fonds de commerce.
Cela s’explique par deux raisons : d’abord, les attentes de rentabilité et de rémunération des fonds propres, en réponse à la hausse des taux. Lorsque les taux étaient à 1 %, il était possible d’investir sur des rendements de 4 à 5 %. Aujourd’hui, avec des taux se situant entre 4,5 et 6 % selon les pays, il est impératif de viser des niveaux de rendement plus élevés. Cela devient encore plus crucial lorsque des rendements de 5,5 % sont promis, soutenus par des institutions solides comme le Crédit Agricole ou la Caisse d’Épargne, avec un risque de défaut quasi inexistant.
Cela a naturellement contribué à un ralentissement des investissements et à une plus grande sélectivité dans les projets. Lorsque nous proposons des investissements à nos souscripteurs, il faut que les rendements dépassent les deux chiffres pour susciter leur intérêt. Cependant, dans le secteur de l’hôtellerie, comme l’a souligné Jean-Luc, il y a un véritable engouement pour cette thématique, surtout dans un contexte où le marché du bureau est affaibli et où les attentes en matière de rendements pour le résidentiel sont plus faibles.
Le climat de défiance qui règne autour du secteur de la santé, notamment des EHPAD, et les nouveaux usages en logistique créent également une opportunité pour l’hôtellerie, qui se positionne aujourd’hui comme une classe d’actifs à part entière. Ce phénomène est perceptible non seulement en France, mais également en Europe, avec un regain d’intérêt des investisseurs internationaux. Après une période de méfiance envers l’Europe, notamment en 2023 et 2024 en raison du contexte politique, nous constatons que ces investisseurs commencent à revenir, notamment en provenance d’Asie, où l’économie ralentit, notamment en Chine.
Aux États-Unis, le marché reste dynamique en raison des élections à venir, mais nous observons que les investisseurs commencent à s’intéresser de nouveau à l’Europe, qui représente une zone d’investissement attractive. Nos clients européens continuent également de regarder vers cette région, mais avec des stratégies très ciblées, cherchant des rendements plus élevés.
En réponse à ces attentes, chez Extendam, nous avons accéléré nos acquisitions à l’étranger, dans des villes comme Rome, Lisbonne, et d’autres destinations. En comparaison à la période avant 2019, nous avons opéré un changement significatif dans notre stratégie. Nous sommes fiers de continuer à collaborer avec Vinci, notamment dans des villes comme Saint-Étienne et Troyes, et nous croyons fortement dans le potentiel de ces villes en dehors des grandes agglomérations.
Aujourd’hui, les investisseurs recherchent des localisations en cœur de ville, que ce soit dans les capitales européennes ou dans des villes où la valeur foncière est encore importante. Ces localisations offrent une certaine sécurité, avec un phénomène de rareté plus marqué, en particulier à Paris, Rome, Lisbonne ou Londres, où la demande pour des actifs hôteliers reste forte et où les plafonds de prix peuvent être plus élevés.
Bertrand Pullès : Il y a de la place pour les deux, mais une chose est certaine : il nous faut du rendement et de la rentabilité.
Jean-Luc Guermonprez : Effectivement, aujourd'hui, notre activité est scindée en deux types de localisations. D'une part, nous poursuivons toujours une recherche active pour de grosses opérations à Paris ou dans de grandes métropoles régionales comme Lyon et Bordeaux. Pour illustrer, prenons la rénovation complète que nous avons réalisée sur l'ancien ministère de la Défense, un projet de près de 30000 m² au cœur de Paris. À Lyon, nous avons livré l'année dernière l'hôtel Pullman, adjacent à la gare Part-Dieu, illustrant parfaitement les grandes opérations que nous menons dans ces marchés prime. D'autre part, nous travaillons aussi dans des villes ayant une importance régionale, comme Troyes ou Saint-Étienne, où nous recherchons des localisations prime, soit en hyper centre-ville, soit face à la gare, comme à Amiens ou Lyon Saint Exupéry, et récemment à Maubeuge où nous avons signé un LOI pour y développer un hôtel 3 étoiles de 85 chambres dans une opération mixte.
Nous maintenons toujours notre présence dans des opérations de taille raisonnable, typiquement entre 80 à 100 chambres. Cela constitue pour nous une activité véritable de chercher ces villes et ces collectivités locales qui peuvent nous aider à obtenir des terrains qu'elles contrôlent totalement ou partiellement, et de l'autre côté de la chaîne de valeur, de trouver le bon franchisé déjà implanté qui désire renforcer sa présence sur le territoire.
Nous sommes en train de commercialiser une opération centre-ville dans une configuration mixte de 85 chambres 3 étoiles. Ce pan d'activité, nous allons continuer à le développer car il répond véritablement à la fois aux attentes des parties prenantes locales et à un marché réel.
Jean-Luc Guermonprez : La réhabilitation avec changement de destination fait écho à notre stratégie environnementale visant à atteindre zéro artificialisation nette d'ici 2030 et à réaliser 50% de notre chiffre d'affaires dans la réhabilitation. En hôtellerie, nous avons toujours été engagés dans la réhabilitation, que ce soit sur des propriétés de l'État ou des collectivités locales, souvent situées en centre-ville. Ces dernières années, nous avons transformé, par exemple, trois immeubles de bureaux en l'hôtel Kimpton 4 étoiles boulevard des Capucines, l'ancien commissariat de police à Strasbourg dans un bâtiment du 17e et 19e siècle en un hôtel 5 étoiles de 116 chambres vendues à La Française et gérées par un groupe hôtelier alsacien.
Nous avons aussi transformé un centre des impôts construit en 1994 boulevard de Belleville en un Novotel de 215 chambres. Cette transformation, qui aurait semblé inimaginable il y a dix ans, témoigne de notre habitude de restructurer et de changer l'affectation des bâtiments, et nous prévoyons d'intensifier ces efforts car la tendance est nettement à la réhabilitation plutôt qu'à la démolition et reconstruction, ce qui est plus avantageux pour la lutte contre le réchauffement climatique. Cette activité a représenté 50% de nos projets sur la dernière décennie.
Bertrand Pullès : Concernant le retournement d'actifs, nous avons toujours été actifs, avec une proportion de 85-15%. Nous travaillons actuellement sur une opération avec Link City sur un bien situé à Paris. Cependant, il est crucial que ces projets soient évalués à un prix juste et qu'ils suivent une logique économique solide. Souvent, si les promoteurs continuent à nous solliciter, c'est en raison de la demande municipale pour un hôtel dans le projet. Ces opérations sont généralement complexes, incluant des éléments résidentiels, de bureau, ou des centres de vie, où l'hôtel est souvent la partie la plus complexe à réaliser.
Jean-Luc Guermonprez : Une grande partie des hôtels que nous parvenons à développer, que ce soit en Vente en l'État Futur d'Achèvement (VEFA) ou en réhabilitation, s'inscrit dans des projets mixtes. Cela nous permet de réaliser une péréquation des coûts du foncier, le logement libre pouvant supporter davantage que le logement aidé ou social, et plus que l'hôtellerie. Cette péréquation nous a permis de réaliser plusieurs projets, comme celui de Saint-Étienne.
Dans cette même veine, nous avons une grande opération de restructuration de friches à Suresnes et développons également pour Extendam un hôtel Tribe avec piscine sur le toit offrant une vue sur le Bois de Boulogne. Cette opération comprend environ 200 logements, ce qui nous permet d'intégrer l'hôtel dans un modèle économique viable pour les investisseurs et les exploitants. Cela fait vingt ans que nous développons des projets mixtes, et nous en discutons désormais dans tous les colloques sur l'urbanisme et la construction de la ville de demain. Il est vrai que l'approche des projets mixtes répond aujourd'hui non seulement aux demandes des collectivités locales mais aussi à l'acceptabilité du projet par les riverains.
Bertrand Pullès : Nous constatons à travers tous les groupes de travail que nous animons que la création de lieux de vie est au cœur de nos préoccupations. Ce que recherche notre clientèle, c'est un hôtel offrant un accueil chaleureux, un lit confortable, une connexion Wi-Fi performante, une salle de bain propre, et surtout un établissement offrant un bon rapport qualité-prix. Chaque emplacement a son hôtel et son marché spécifique, mais nous restons axés sur une exécution irréprochable. Il ne faut jamais oublier l'importance des collaborateurs dans la réussite globale de nos projets.
Jean-Luc Guermonprez : Chaque fois que nous approchons une collectivité pour implanter un hôtel, nous insistons sur le fait que l'hôtellerie est intrinsèquement un métier de service, à la différence de certaines résidences de tourisme ou de solutions de coliving qui s'adressent à une clientèle différente, avec des attentes distinctes en termes d'immobilier et de niveau de service. Le véritable service, celui qui définit l'hôtellerie, ne se retrouve que dans notre secteur.